La danse du feu

Niché quelque part au creux du merveilleux village de Frelighsburg, en Estrie, se trouve le studio Welmo, un atelier de verre soufflé et de verre d’art. Le nom Welmo vient de Ouellette-Primeau, comme c’est un projet né de la passion de Catherine Ouellette et de Patrick Primeau.

Je ne savais pas à quoi m’attendre de cette visite puisque ma conception du verre au quotidien reste assez basique : fragile et utilitaire. Mon expérience au studio Welmo m’a révélé que le verre est en fait un matériau malléable, résultant d’une relation étroite entre l’artiste et la matière. Il s’agit d’une fusion d’ardeur, d’instinct et de respect envers la danse qui permet l’émergence d’œuvres sublimes.

En arrivant au studio, je suis tout de suite accueillie par le chien de la famille, un berger australien gardien des poules! Je foule le site et, dès mes premiers pas, un sentiment de bien-être enveloppant m’envahit, comme si j’arrivais à la maison. Il se dégage une chaleur et une intensité palpable dans l’atelier, un contraste frappant avec la quiétude de l’extérieur.

Patrick commence par m’expliquer le processus traditionnel pour la création d’un verre. En tant que néophyte, j’absorbe le tout avec curiosité et le plus grand intérêt. Il m’explique, tout en allant recueillir du verre dans le four qui en contient 150 kg, que souffler du verre, c’est une question de timing, de connaissances et d’instinct.

Je le regarde souffler juste assez d’air pour former une bulle qui deviendra un verre pour boire, et je suis automatiquement impressionnée par son savoir-faire. Je ne peux m’empêcher de lui demander : « Comment sais-tu quelle quantité d’air on doit souffler? Quand est-ce que c’est assez? » Un éclair d’enthousiasme traverse l’œil de Patrick alors qu’il jette un regard à Catherine. La connivence entre eux et l’amour de leur savoir-faire sont tangibles. Il répond : « Tu le sais, c’est tout! Ça s’apprend. » Ils s’esclaffent à l’unisson, et je lance naïvement : « Oh, ça doit faire bien des dégâts au début! » Ça les amuse. Ils m’expliquent que ça arrive encore aujourd’hui. C’est une expertise qui puise dans la patience et la vitesse et qui vient avec des erreurs; elles font systématiquement partie du processus.

LE PROCESSUS

Voilà déjà 25 ans que Catherine et Patrick se sont épris de leur discipline, qu’ils s’émerveillent de travailler le verre pour faire naître des pièces uniques. Leur espace de travail est impressionnant : ils sont bien établis dans leur domaine. Catherine me raconte leurs débuts qui étaient beaucoup plus modestes : ils ont acheté les machines et ont commencé à créer avec les moyens qu’ils avaient. Et depuis deux ans maintenant, leur studio occupe cet espace magique et accueillant à Frelighsburg. Immédiatement, je ressens le besoin de savoir ce qui a suscité leur intérêt pour cette pratique artistique. Catherine y réfléchit un moment, beaucoup d’aspects de son talent l’animent : « Je dirais que c’est à la fois le feu, la passion et le travail d’équipe. Tu es prise dans le moment et tu es obligée d’être à 100 % concentrée sur ce que tu fais! Ce sont donc de gros moments d’adrénaline, et quand tu mets la pièce de côté après, c’est comme… une victoire! »

La malléabilité du verre me captive instantanément. Patrick m’enseigne comment il peut, par son souffle et le mouvement de la longue tige en acier qui lui sert de manche, façonner une forme. Il chauffe le verre à nouveau, puis le retravaille, pour la développer davantage. Il est étonnant de voir comment la matière se manipule, comment elle répond docilement aux commandes de l’artiste. Patrick peaufine la pièce, il la fait tourner au bout du manche, alors que son assistant, Gabriel, suit les mouvements avec attention et écoute ses directives.

Souffle, arrête, attends, souffle, arrête, attends, souffle.

Je constate tout à coup que j’assiste à une véritable danse entre les artistes et leur matière, une valse digne de mention, une harmonie parfaitement chorégraphiée qui émeut. J’en formule le commentaire à Patrick, et ça lui fait plaisir. « Je dis souvent ça, que c’est une danse! On rit de moi des fois, quand j’en parle ainsi, mais c’est vraiment comme ça que je le vois. »

Patrick prend le temps de me montrer toutes les choses que nous pouvons réaliser avec du verre : comment lui donner des formes spéciales, des textures différentes à l’aide de moules en fonte, et même comment lui conférer des couleurs grâce à de la pâte de verre colorée. Il existe tout un monde de possibilités, une diversité dont je ne me serais jamais doutée. Le processus de la coloration me paraît particulièrement fascinant : on ajoute au verre incolore du verre à pigmentation très concentrée. Il faut le couper en petits morceaux, le faire ramollir, puis l’ajouter à la canne à souffler, en plus du verre transparent. C’est en soufflant par la suite que les couleurs se mélangent.

Patrick et Caroline, enthousiasmés, m’expliquent en détail leurs spécialités. Patrick se concentre sur l’art du verre soufflé, alors que Caroline s’adonne plutôt à la sculpture. Ce sont deux processus assez différents, un rapide, presque urgent, l’autre plus ancré dans la patience. Caroline peut attendre plusieurs jours avant de contempler les fruits de son labeur, tandis que pour Patrick, l’aboutissement est quasiment instantané.

L’ATELIER

L’atelier Welmo est niché dans un havre de paix, de nature et de contemplation. Un endroit comme celui-là, baigné à la fois dans l’action et la suspension, il faut prendre son temps pour le visiter. La chaleur du feu, le vent qui entre par la porte ouverte, l’intensité du moment, la concentration dans le mouvement, tout se fond dans un ensemble harmonieux parfaitement orchestré.

Je demande à mes hôtes s’il y a quelque chose qu’ils souhaiteraient transmettre en rapport à leur art et à leur travail. Caroline lance à la blague qu’elle aimerait tout simplement que les gens sachent qu’ils existent, point. Elle ajoute qu’ils accueillent avec grand plaisir les personnes curieuses d’en apprendre plus sur leur démarche. Il existe une idée préconçue selon laquelle les œuvres en verre seraient plus délicates et susceptibles de se briser que d’autres : les deux artistes expriment leur désir de voir cette affi rmation être réfutée. « Ce n’est pas plus fragile que de la poterie, par exemple. L’art en verre peut exister dans une maison, même avec des enfants, même avec des animaux », précise Caroline.

Patrick renchérit qu’il aime quand les gens viennent assister au processus, parce que ça leur permet de mieux le comprendre : « Mon art, c’est dans l’atelier que ça se passe! Ce qu’on voit dans la salle d’exposition, c’est le résultat de mon art, mais moi ce qui m’intéresse, c’est la danse. »

L’art du verre se révèle comme un processus créatif spectaculaire qui éveille la curiosité. Et pourtant, nous vivons avec le verre au quotidien sans réfl échir à la manière dont il prend forme entre nos mains. Mais l’accueil chaleureux de Catherine et de Patrick m’a permis d’explorer leur univers et d’apprendre les rudiments de leur art. En quittant leur atelier, véritable sanctuaire de créativité où le dévouement et la précision se conjuguent pour engendrer des œuvres d’exception, je me surprends à vouloir moi aussi me laisser enivrer par cette danse du feu complètement envoûtante.

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